San Diego - Une cour d'appel a confirmé le jugement de 13,5 millions de dollars à l'encontre du collège central des Témoins de Jéhovah jeudi 14 avril 2016 dans un procès qui accuse l'organisation de couvrir des années d'abus sexuels commis par un dirigeant de l'église locale.

La décision rendue par la Cour d'Appel du Quatrième District (San Diego) remet donc les pendules à l'heure une nouvelle fois, et requiert désormais que la fameuse base de données de la Watchtower contenant tous ses membres ayant été concernés de près ou de loin par des actes pédophiles soit dévoilée et produite devant la justice.

Le collège central de la Watchtower Bible and Tract Society de New York (en la personne de Gerrit Losch) a refusé délibérément de se présenter au tribunal pour produire ces documents, et la décision rendue en appel donne à l'organisation une autre chance de se plier à l'injonction. Si l'organisation ne coopère pas, le cas pourrait se terminer de la même manière que la première fois, à savoir par une amende de plusieurs millions de dollars contre elle.

Rappel des faits : le procès initial

La plainte a été initialement déposée en 2012 à la Cour Supérieure de San Diego par Jose Lopez, qui a affirmé avoir été agressé à l'âge de 7 ans par un ancien dans la congrégation de Linda Vista en 1986.

Son dossier relate que les anciens de la congrégation ont recommandé l'agresseur, Gonzalo Campos, à la mère de Lopez comme quelqu'un qui serait un bon mentor pour enseigner les leçons bibliques au jeune garçon. Problème : il a été prouvé que les anciens savaient que Campos avait déjà agressé un jeune garçon dès 1982, et qu'ils n'ont rien fait en conséquence, continuant à mettre d'autres enfants en situation de risque.

Lopez accuse Campos de l'avoir agressé sexuellement un jour alors que le garçon était dans le domicile de l'agresseur. Le garçon en a immédiatement parlé à sa mère qui a à son tour alerté les anciens de sa congrégation. Les anciens lui ont alors dit qu'ils allaient gérer la situation et l'on découragée d'alerter les autorités civiles. Lopez et sa mère ont ensuite quitté les Témoins de Jéhovah.

L'enquête a démontré que les anciens avaient effectivement surveillé Campos pendant neuf mois. Dans les années qui ont suivi, Campos a gravi les échelons dans la congrégation, continuant d'être régulièrement en contact avec des enfants pour les enseigner.

Il a ensuite rejoint une congrégation de langue espagnole à La Jolla, de laquelle il a été exclus en 1995 après un autre fait d'abus sexuel sur mineur. Il a été réintégré en 2000.

Dans une précédente déclaration au journal local (le San Diego Union-Tribune), la Watchtower a nié que Campos était ancien lorsqu'il enseignait Lopez et affirmait que "les Témoins de Jéhovah abhorrent la pédophilie et s'efforcent de le protéger les enfants contre de tels actes".

Campos a avoué plus tard avoir abusé d'au moins huit enfants entre 1982 et 1995. Il a fui au Mexique vers 2010 après que la police de San Diego a été alertée et de toute évidence il est toujours dans ce pays, selon l'avocat de Lopez, Irwin Zalkin.

Six autres hommes et une femme qui ont poursuivi la Watchtower prétendant qu'ils ont été victimes de Campos ont réglé leurs affaires en dehors des tribunaux.

La quête des précieux documents de la Watchtower

En étudiant le cas de son client, Zalkin a demandé à avoir accès à tous les rapports au sujet des autres victimes de Campos, ainsi qu'à tous les dossiers relatifs à des affaires de pédophilie dans l'organisation commis depuis 1979 pour vérifier la manière dont ces cas avaient été gérés par la Watchtower. L'organisation a riposté, affirmant que de tels documents seraient "impossible" à récupérer, que cela constituerait une violation des droits, que cette demande serait trop lourde à gérer, alors que la religion compte 1,2 million de membres dans les plus de 13000 congrégations du pays.

Après mûre réflexion, le juge de la Cour Supérieure Joan Lewis a ordonné que ces documents soient produits. Ils ne l'ont jamais été... Les avocats de Lopez se sont également rendus à New York, sur ordre de la cour, pour convoquer Gerrit Losch, membre de longue date du collège central, mais ce dernier refusa de se présenter.

Gerrit Losch, membre du collège central des Témoins de Jéhovah
Gerrit Losch, membre du collège central des Témoins de Jéhovah (source TV.JW.ORG)

Le juge, considérant le refus d'obtempérer de Losch, a décidé de sanctionner la Watchtower en mettant fin à son droit d'être entendue dans la suite du procès. Les avocats de Lopez ont donc été entendus pendant les six jours du procès, sans les avocats de la Watchtower. En fin de compte, le juge Lewis a rendu un jugement par défaut de 10,5 millions de dollars en dommages-intérêts punitifs et 3 millions de dollars en dommages-intérêts compensatoires contre la Watchtower. La Watchtower a également eu à payer plus de 37.000 dollars en sanctions, principalement pour couvrir les frais de déplacement pour la convocation de Gerrit Losch à New York.

C'est de ce procès que nous vous parlions dans le précédent article : Les Témoins de Jéhovah lourdement condamnés dans une affaire de pédophilie. La Watchtower, par l'intermédiaire de ses avocats, annonçait alors vouloir faire appel de la décision.

L'appel de la Watchtower

Jeudi 14 avril 2016 a donc été rendu le verdict de la cour d'appel.

Le panel de trois juges a rejeté les allégations de la Watchtower qui affirme que les documents de l'organisation relatifs aux affaires de pédophilie n'ont pas à être produits. Ces documents sont donc toujours réclamés par la justice.

Cependant, la cour d'appel a rejeté l'ordonnance du juge pour la convocation de Losch. Selon lui les avocats de Lopez n'ont pas prouvé qu'il était un homme clé dans cette affaire en tant que membre du collège central.

Le tribunal a également contesté la rapidité avec laquelle le juge Lewis a fermé la porte des tribunaux à la Watchtower, en disant qu'elle aurait d'abord dû essayer des sanctions moins punitives pour voir si l'église se serait conformée aux injonctions.

L'affaire va maintenant revenir au juge Lewis afin de donner à la Watchtower une autre chance de fournir les documents demandés. Si, après d'autres avertissements et sanctions l'église ne se conforme toujours pas, le cas pourrait se terminer de la même façon, avec la même condamnation et la même interdiction pour la Watchtower d'être entendue dans l'affaire.

A l'issue du procès en appel les avocats de la Watchtower n'ont pas fait de commentaire. L'avocat de Lopez, Zalkin, a déclaré quant à lui que l'avis de la Cour pourrait avoir un grand impact sur son cas et sur d'autres procès similaires contre la Watchtower dans le pays. "De notre point de vue, le but a toujours été d'obtenir les documents", a-t-il dit. Il a ajouté que la Watchtower a produit des documents d'abus antérieurs dans d'autres procès, mais ceux-ci ont été fortement expurgés et de peu d'utilité. "Ils ne veulent pas que le monde sache ce qu'ils savaient à propos des abus sexuels commis sur les enfants au sein de leur organisation depuis des décennies et ils essayent désespérément de dissimuler ces informations", a déclaré Zalkin.

Source : San Diego Union-Tribune

Pour un point complet sur la situation de l'organisation des Témoins de Jéhovah par rapport aux affaires de pédophilie, voir l'article et le documentaire : [Vidéo] Pédophilie chez les Témoins de Jéhovah : le point sur la situation.